Les femmes et les postes de direction : pourquoi sont-elles si peu nombreuses ?

Pourquoi les femmes sont-elles sous-représentées aux postes de direction ? Cette question, qui décrit l’expression du phénomène du plafond de verre, les chercheurs et les chercheuses ont commencé à se la poser dès les années 70. Force est de constater qu’elle est toujours d’actualité. Néanmoins, les recherches de ces 50 dernières années montrent que la réalité est bien plus complexe qu’elle n’en a l’air.

Les femmes et les postes de direction : pourquoi sont-elles si peu nombreuses ? Images de Gregor Cresnar provenant de TheNounProject. Les femmes et les postes de direction : pourquoi sont-elles si peu nombreuses ? Images de Gregor Cresnar provenant de TheNounProject.

Depuis 2011, la question de la sous-représentation des femmes aux postes de direction a été saisie par les hommes et femmes politiques français. En réponse, ils ont élaboré et voté la loi Copé-Zimmermann. Cette loi a pour objectif de forcer les entreprises cotées en bourse à avoir 40 % de femmes dans leurs conseils d’administration et de surveillance. L’instauration de ce quota obligatoire est-elle une réussite ? Tout dépend de ce que l’on regarde.

Le Haut Conseil de l’Égalité a analysé les effets de cette loi en 2021 (Haut conseil à l’Égalité entre les Femmes et les Hommes, 2021). Par exemple, pour le CAC40 (40 plus grandes entreprises françaises cotées en bourse) et le SBF120 (indice de la bourse de Paris calculé à partir de 120 entreprises françaises, dont le CAC 40), la mission est remplie. Néanmoins, il est à souligner une répartition inéquitable entre les différents conseils au sein de ces entreprises. Par exemple, pour les entreprises du SBF120, on observe une représentation plus importante de femmes au sein des comités de Responsabilité Sociale des Entreprises (55 %) que dans les comités de Stratégie (35 %). De même, on trouve seulement 21 % de femmes dans les conseils exécutifs et de direction en 2020. Autrement dit, même si les femmes atteignent des positions élevées, elles restent à des postes sans réel pouvoir (Silvera, 2021).

Phénomène du plafond de verre : homme = manager ?

Les premières études cherchant à comprendre les causes du plafond de verre subit par les femmes datent des années 70. Les travaux de Schein (1973, 1975) ont permis de mieux comprendre la représentation cognitive du directeur, c’est-à-dire la façon dont nous percevons les directeurs et les caractéristiques qui leur sont associées. Afin d’étudier cette représentation cognitive, Schein a envoyé des questionnaires à 300 managers américains (1973) et à 167 femmes managers américaines (1975). Ces managers devaient dire si les caractéristiques d’une liste étaient typiques d’un homme, d’une femme, ou d’un manager. Les résultats montrent que les caractéristiques associées à un homme sont similaires à celles qui sont rattachées à un manager. À l’inverse, les caractéristiques associées à une femme ne sont pas associées à un manager. Schein met en évidence l’association « Think Manager – Think Male » (Penser Manager – Penser Homme). Les hommes posséderaient les bonnes caractéristiques pour être manager, et l’association entre les hommes et les managers est si forte qu’on ne sait plus si on associe les hommes aux managers, ou si ce sont les managers qui sont associés aux hommes (Perry, 1994). Néanmoins, cette correspondance ne semble pas être aussi forte pour les femmes que pour les hommes (voir Koenig et coll., 2011).

 

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Les individus associent davantage les caractéristiques d’un manager à celles d’un homme. Images par Mohammed Rabiul Alam (icône manager) et par Langtik (icônes individus) provenant de theNounProjectLes individus associent davantage les caractéristiques d’un manager à celles d’un homme. Images par Mohammed Rabiul Alam (icône manager) et par Langtik (icônes individus) provenant de theNounProject

 

À partir de cette explication, les chercheurs s’intéressent aux différentes dimensions permettant de classer les stéréotypes (par ex., agentivité — communalité, compétence — chaleur, masculinité — féminité, etc. ; voir Abele et coll., 2020) et nos attentes concernant les groupes auxquels ils sont associés. En effet, la Théorie des Rôles Congruents (Eagly & Karau, 2002) postule qu’il n’existe pas seulement des stéréotypes sur les groupes, mais aussi tout un ensemble d’attentes normatives et de croyances concernant les femmes et les hommes. Ces normes et croyances peuvent-être de deux sortes : descriptives et prescriptives. Les croyances descriptives produisent des attentes vis-à-vis du comportement dun membre d’un groupe en particulier. Les croyances prescriptives sont des attentes normatives en lien avec les comportements que doivent adopter (ou ne pas adopter) les membres d’un groupe. Ainsi, le comportement des hommes doit être agentique (par exemple indépendant, compétitif) et celui des femmes communal (chaleureuse, gentille). Ces deux dimensions contribuent à expliquer la sous-représentation des femmes aux postes de direction. À l’inverse des hommes, elles n’exprimeraient et ne possèderaient pas l’agentivité (mais plutôt la communalité), et seraient par conséquent jugées comme « ne possédant pas les caractéristiques optimales pour un poste de manager ». Nous pouvons alors nous poser une question simple : que se passerait-il si une femme se montrait agentique ?

 

L’effet de backlash : quoiqu’il se passe, une femme rencontrera toujours des difficultés pour devenir dirigeante…

La réponse est sans appel : une femme perçue comme possédant trop de caractéristiques en lien avec l’agentivité sera également jugée moins favorablement pour une position de direction (Rudman, 1998). Ces femmes exprimant ces caractéristiques agentiques seront perçues comme étant compétentes pour la position de direction, au même titre qu’un homme. Néanmoins, elles ne seront plus perçues suffisamment agréables, comme cela est prescrit par le stéréotype féminin. Cette lacune renvoie au fait que les femmes exprimant les bonnes caractéristiques pour devenir directrices ne seront plus perçues comme étant « prototypiques » des femmes. Pour une femme, le refus de sa candidature pour cause de manque de communalité constitue alors une punition pour son absence d’adéquation au rôle attribué à son genre : c’est l’effet de backlash. Comme nous l’avons évoqué, les hommes et les femmes doivent à la fois exprimer les comportements de leur groupe de genre et ne pas exprimer celles de l’autre groupe. Ainsi, l’effet de backlash met en avant la notion de double peine pour les femmes : si elles n’expriment pas les caractéristiques en adéquation avec une position de direction, elles ne seront pas choisies pour un poste de direction (plafond de verre) ; à l’inverse, si elles expriment des caractéristiques en adéquation avec ce poste, elles ne seront pas choisies, car elles ne seront plus suffisamment perçues comme appartenant au groupe des femmes (effet de backlash).

Les prescriptions liées aux stéréotypes s'associent également à des proscriptions : la façon dont les hommes et les femmes ne doivent pas se comporter. Les femmes subiraient l’effet de backlash lorsqu’elles expriment des caractéristiques agentiques proscrites pour leur groupe de genre (caractéristiques agentiques), et plus précisément les caractéristiques en lien avec la dominance. Elles subiraient alors une « pénalité à la dominance », dont l’objectif est de maintenir la hiérarchie de genre en place : c’est l’hypothèse des statuts incongruents. Cette hypothèse a été formulée et testée par Rudman et collaboratrices (2012). Dans leur deuxième étude, les chercheuses ont demandé à des personnes de décrire leurs impressions concernant la promotion d’un ou d’une candidate au poste de Professeur à l’université de Yale. Pour les aider dans leur décision, on avait mis à leur disposition une lettre de recommandation, dans laquelle la personne (candidate ou candidate) était présentée soit de manière agentique, soit de manière communale. Afin de tester la pénalité à la dominance, les participants ont dû évaluer le ou la candidate sur une trentaine de caractéristiques, qui étaient répertoriées comme étant prescrites soit pour les hommes, soit pour les femmes, soit pour les hommes et pour les femmes (sur ce dernier point, les caractéristiques étaient liées à la dominance). Pour tester l’effet de backlash, les participants ont indiqué à quel point le ou la candidate leur paraissait sympathique. Les résultats soutiennent l’hypothèse des statuts incongruents : (1) la candidate agentique est celle qui se voit attribuer le plus de caractéristiques en lien avec la dominance et (2) plus la candidate se voit imputer de caractéristiques en lien avec la dominance, moins elle est perçue comme sympathique. Il y a donc une pénalité à la dominance, c’est-à-dire que les femmes subiraient l’effet de backlash si elles sont perçues comme étant dominantes. Les caractéristiques communales, explication qui était dans un premier temps avancée, ne joueraient pas de rôle dans l’effet de backlash. 

Néanmoins, il existe un cas de figure où les femmes sont perçues comme possédant des caractéristiques adaptées à un poste de direction : lorsque l’entreprise fait face à une décroissance économique.

… Sauf lorsque la position est précaire : le phénomène de la falaise de verre.

L’expression falaise de verre (Ryan et coll., 2016) se rapporte au fait que, lorsqu’une femme arrive à monter les échelons pour atteindre les postes de direction, ces emplois sont plus précaires que ceux des hommes. Originellement, Ryan et Haslam (2005) ont démontré que les femmes ont plus de chance d’obtenir un poste de direction si elles postulent dans une entreprise confrontée à une crise économique (par rapport à une entreprise en croissance économique). Par exemple, Marissa Mayer est arrivée à la tête de Yahoo! en 2012 suite au lent déclin de l’ancien géant américain. Or, comme nous l’avons vu précédemment, on a tendance à considérer que les femmes ne possèdent pas les bonnes caractéristiques pour une position de direction, mais si elles les possèdent, elles s’exposent à l’effet de backlash. Pourquoi ce revirement de situation lorsque l’entreprise est en crise ?

Les premières expériences menées sur la falaise de verre ont révélé un changement de paradigme de la représentation cognitive du manager. Ryan et Haslam (2007) mettent en évidence le paradigme « Think Crisis – Think Female » (Penser Crise – Penser Femme). Autrement dit, quand une entreprise est en difficulté économique, il y a une adéquation entre les caractéristiques associées aux femmes et les caractéristiques associées à la position (Ryan, et coll., 2011). En plus d’être perçues comme plus adaptées, les femmes seront davantage sélectionnées pour le poste de directeur et seront perçues comme plus compétentes, adaptables et possédant un meilleur leadership pour diriger cette entreprise (Haslam & Ryan, 2008). D’un autre côté, les hommes constatent que les caractéristiques de leur groupe de genre sont moins associées à la position (Bruckmüller & Branscombe, 2010). Les chercheurs et les chercheuses mettent aussi en avant un paradigme « Think Crisis – Think not Male » (Penser Crise – Ne Penser pas aux Hommes).

 

Cependant, les individus associent les caractéristiques d’un manager lorsque l’entreprise est en crise (décroissance économique) à celles d’une femme. Images par Marc Torrada (icône manager) et par Langtik (icônes individus) provenant de theNounProject. Cependant, les individus associent les caractéristiques d’un manager lorsque l’entreprise est en crise (décroissance économique) à celles d’une femme. Images par Marc Torrada (icône manager) et par Langtik (icônes individus) provenant de theNounProject.

 

La décroissance économique d’une entreprise peut avoir des origines différentes (Kulich et coll., 2015) : elles peuvent être internes (mauvais management) ou externes (la concurrence s’est mieux adaptée à la crise). Kulich et collaboratrices (2021, étude 1) ont étudié deux causes : l’une est liée à de mauvaises décisions financières prises et l’autre à un mauvais management (les autrices ont aussi ajouté une condition contrôle où l’entreprise est en croissance économique). En plus d’étudier les caractéristiques souhaitées pour le poste, les chercheuses ont demandé aux participants s’ils préfèrent voir un homme ou une femme occuper le poste de direction vacant. Les résultats montrent que les caractéristiques genrées ne sont pas adaptées aux mêmes causes de crise. Plus précisément, lorsque la crise est liée à un mauvais management, on préférera un dirigeant communal ; si elle est imputable à de mauvaises décisions financières, c’est un dirigeant agentique qui remportera les suffrages. Cela ne se répercute pas sur le choix du genre du futur directeur : une femme restera préférée comme dirigeante, indépendamment du type de crises ou des caractéristiques plébiscitées.

 

Conclusion

Les emplois de direction sont effectivement associés aux hommes, ce qui ne permet pas aux femmes d’atteindre ces positions (phénomène du plafond de verre). Cette sous-représentation serait due à une inadéquation entre les caractéristiques féminines (communales) et celles des managers, d’une part, et à une adéquation entre les caractéristiques masculines (agentiques) et celles des dirigeants, d’autre part. Si les femmes expriment des caractéristiques agentiques, elles subissent un effet de backlash. Plus exactement, ce backlash intervient lorsque des caractéristiques en lien avec la dimension de la dominance sont exprimées par les femmes. Néanmoins, les femmes augmentent leurs chances d’obtenir un poste de direction si l’entreprise est en difficulté (phénomène de la falaise de verre). Les premières études ont mis en évidence que les femmes possèdent les bonnes caractéristiques pour devenir directrices dans ce contexte précis, principalement si la crise est liée à un management déficient.

 

Références

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social world: Toward an integrated framework for evaluating self, individuals, and groups.

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Koenig, A. M., Eagly, A. H., Mitchell, A. A., & Ristikari, T. (2011). Are leader stereotypes masculine? A meta-analysis of three research paradigms. Psychological Bulletin, 137(4), 616‑642. https://doi.org/10.1037/a0023557

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