Débloquer le pouvoir du sport : l'impact des valeurs olympiques dans la réhabilitation en prison
Découvrez comment le sport en prison favorise l' empathie, la santé et la réintégration sociale. En pratiquant avec l'Esprit olympique, les détenus trouvent un moyen de se reconnecter et de se reconstruire. Une approche holistique qui transcende les barrières et offre un chemin vers la réhabilitation.
Introduction
Le 4 février 2022, le Secrétaire général des Nations unies (ONU), António Guterres, a célébré l'esprit olympique des athlètes aux Jeux olympiques d'hiver de Beijing en ces termes : "C'est mon vif espoir que cet esprit dépasse largement ces Jeux olympiques, pour rappeler à chacun - participants et spectateurs - que nous appartenons à la même famille humaine [...] Il n'y a pas de limite à ce que nous pouvons accomplir lorsque nous travaillons ensemble - pour la paix, pour les droits de l'homme et pour un bien-être sain pour tous". Plus d'un siècle plus tard, les mots du baron de Coubertin (fondateur des Jeux olympiques modernes) résonnent toujours amèrement pour les sociétés modernes en quête d'unité et de paix. "Qu'est-ce que cet état d'esprit olympique ? Les Olympiens font preuve de dextérité mentale et de résilience ; ces traits ne sont pas nécessairement innés, mais sont cultivés au fil du temps. La dextérité mentale et la résilience, ainsi que leurs compétences individuelles, distinguent les Olympiens de leurs pairs dans l'accomplissement de leurs objectifs" (Hughes et Habersleben, 2021, p. 1734). Ainsi, il a toujours été attendu du sport qu'il incarne les valeurs de solidarité, de cohésion, d'amitié, de loyauté, d'effort, de courage, de respect (Hammond et al., 2023)... Et c'est toujours cet esprit olympique noble d'un sport éducatif et vertueux qui imprégnera l'environnement carcéral à partir du milieu du XXe siècle. Avant cette période, le temps consacré au sport était en effet considéré exclusivement comme une peine supplémentaire à la détention (Gras, 2005). Il avait lieu pendant l'heure d'exercice, où les détenus marchaient les uns derrière les autres à un rythme dicté - une occasion pour l'administration pénitentiaire de marquer encore davantage son pouvoir de coercition. En fin de compte, avant le milieu du XXe siècle, la prison continuait d'être un lieu de formation et de "contrôle méticuleux des opérations corporelles" (Foucault, 2003, p. 139) pour les rendre toujours plus dociles (McGee, 2022). Ainsi, en l'espace d'un siècle, le sport en prison est passé d'une punition à une libération du corps. Et c'est précisément pour transmettre les valeurs de solidarité envers un bien-être encore plus grand au sein des murs que le projet d'installation de Street WorkOut (SWO) a été lancé en 2022 dans les établissements pénitentiaires de la région parisienne en France.
Structures métalliques en prison pour le sport
Le SWO est une pratique physique née aux États-Unis dans les années 1990, combinant musculation, flexibilité et agilité gymnastique dans la tradition des exercices calisthéniques. Ce type d'installation, matérialisé par une structure métallique placée au centre des cours d'exercice, a été mis en œuvre, d'abord de manière expérimentale en 2022 dans les centres de détention de Poissy et de Fleury-Mérogis, puis à Réau en 2023. Ce projet, initié par la Direction Interrégionale des Services Pénitentiaires (DISP) de Paris avec le soutien de l'association "Impact 2024", est sur le point de se généraliser dans d'autres établissements pénitentiaires. Il vise à utiliser le sport pour promouvoir le bien-être, l'engagement civique, l'inclusion, la solidarité, l'égalité et l'environnement... en d'autres termes, l'esprit olympique.
Compétitions en prison : explorer l'esprit olympique
Le 24 juin 2022, la première compétition a été organisée à distance (via vidéoconférence) entre des équipes de détenus des centres de détention de Poissy et de Fleury-Mérogis. Le 23 octobre 2023, une autre compétition a eu lieu en personne, cette fois à Fleury-Mérogis, rassemblant des détenus des centres de détention de Poissy, Fleury-Mérogis et Réau. Dans les deux cas, les détenus se sont entraînés pour ces événements, auxquels nous avons assisté en tant que spectateurs dans la cour du bâtiment D1 à Fleury. Au cours de ces deux après-midis, nous avons observé et dialogué avec plusieurs détenus pour comprendre de près leurs expériences de dépassement de soi et de compétition avec les autres dans l'environnement carcéral. Loin des stades, c'est en prison que nous avons cherché à explorer l'esprit olympique.
Cérémonie d'ouverture et échauffement collectif
En présence de responsables des institutions concernées, le directeur régional de l'administration pénitentiaire en Île-de-France a ouvert la compétition avec un discours largement consacré aux valeurs constitutives de l'esprit olympique. Convaincu de l'importance de ces défis pour les détenus, il visait à leur donner une certaine solennité. Avant de donner le coup de sifflet pour chacune des deux compétitions, Charlie Abtouche, un athlète de la Fédération Française d'Haltérophilie et de Musculation (FFHM), a dirigé un échauffement collectif. À chaque fois, les détenus ont participé avec calme et respect mutuel. Au début, les détenus se regardaient silencieusement, mais progressivement, avec le réchauffement des corps et l'effervescence collective, les singularités se sont élargies pour former un "nous", un signe de reconnaissance mutuelle. Il est également à noter que pendant cette phase initiale, les visages portaient le masque de la concentration. Interrogés plus tard sur ce moment de préparation, les mêmes mots - "je pensais à la compétition", "concentré sur ce qui vient" - résonnent comme un refrain dans la bouche des détenus. Cette capacité anticipatrice est intéressante, car elle indique qu'ils sont moins prisonniers du présent et moins intolérants à la frustration (Bohler, 2019), mais plus capables de se projeter. Développer cette compétence par le sport, c'est apprendre à mieux se conformer aux attentes des autres et, par conséquent, améliorer la cohésion sociale (Mutz et Müller, 2023). Après la phase d'échauffement, Charlie offre un spectacle impressionnant de force, de flexibilité, d'équilibre, de style et d'endurance. Comme des spectateurs dans un stade, les observateurs, appuyés sur les fenêtres de leur cellule, participent à l'événement initialement avec des acclamations, puis dans le silence, et enfin avec des applaudissements. L'esprit olympique d'unité autour de l'excellence d'une performance prend ici tout son sens, favorisant le partage et la cohésion.
Solidarité et encouragement dans les compétitions
La démonstration laisse place à une explication du défi prévu, formaté comme une "Bataille Physique" - à distance en juin 2022 et en direct en octobre 2023. La compétition inclut des tractions, des pompes et des squats sur une jambe. Pour chaque exercice, les représentants de chaque équipe ont un temps déterminé pour effectuer le plus de répétitions possible. Et ainsi, commence ; les détenus se relaient pour affronter les défis. Ceux qui éprouvent des difficultés reçoivent des encouragements enthousiastes de la part de leurs coéquipiers et des détenus observateurs depuis leurs fenêtres. En ce qui concerne les encouragements, les gardiens jouent également leur rôle. Ils offrent des conseils avec des mots tels que "Rappelez-vous des séances d'entraînement... Contractez vos abdominaux... Prenez votre temps, pas besoin de se précipiter... Économisez votre énergie..." Ces échanges sont intéressants, car ils créent des conditions de résonance, un "phénomène qui se produit lorsque plusieurs personnes sont en harmonie les unes avec les autres - principalement sur un plan non verbal" (Rosa, 2018, p. 192). De ce point de vue, les pratiques sportives sont d'excellents espaces pour la résonance émotionnelle et l'enthousiasme collectif. En effet, dès qu'un participant termine son ensemble, soutenu par des acclamations et des expressions telles que "vas-y, tu étais génial, frère", d'autres - épuisés de leurs efforts quelques minutes plus tôt ou en attendant leur tour - montrent leur soutien avec des mots, parfois accompagnés de tapes chaleureuses sur l'épaule. Chaque personne, observant son camarade d'action immédiatement après, pouvait alors ressentir les mêmes émotions. De manière rituelle, s'alignant les uns avec les autres, les émotions partagées créaient une solidarité - un ingrédient nécessaire à la cohésion sociale (Durkheim, 2009).
Solidarité et camaraderie : esprit d'équipe en prison
Les exercices se succèdent, tout comme les expériences partagées d'émotions, d'échanges et d'encouragements. Malgré l'épuisement, personne n'abandonne. Les participants vont jusqu'au bout, inflexibles, non seulement pour préserver leur dignité, mais aussi pour assurer la victoire de leur équipe. Au début de l'après-midi du 23 octobre 2023, lorsque la compétition a commencé, chaque équipe occupait un endroit spécifique et spatialement circonscrit. Rapidement, le SWO devient le centre d'attention. Les mouvements, les changements de concurrents et la volonté de tous de s'approcher pour être aux premières loges transcendent l'appartenance initiale à des groupes distincts. Tout se passe comme si les expériences partagées brouillaient les différences pour se sentir partie de la "même famille humaine" mentionnée précédemment par António Guterres. Il est probable que ce sentiment de former un groupe et de sécurité psychologique ait rendu les échanges sans barrières possibles, comme en témoignent les déclarations de Rico de juin 2022.
Rico vient de terminer un ensemble de pompes sous les acclamations de ses camarades. Il récupère, étanchant sa soif à grandes gorgées, ressentant la chaleur. Il révèle qu'il effectue régulièrement des tractions sur des barres fixées à l'un des murs de la cour d'exercice. "Quand je suis ici, j'essaie de faire des séries ; c'est mieux que dans la cellule, tu sais..." Il explique aussi qu'il s'impose des exercices tous les jours "pour rester en forme, tenir le coup... et se préparer pour la sortie". Puis, très spontanément, il compare ses exercices contre le mur avec la pratique récente sur le SWO :
"Tu vois là-bas [contre le mur] quand tu fais des tractions, c'est une par une... Tu y vas, tu fais ton truc, tu laisses la place, tu attends, tu y retournes... En réalité, tu es seul... Je suis là depuis environ un an, je n'ai pas rencontré beaucoup de gens... Alors qu'ici, depuis qu'ils ont installé ça [le SWO] au milieu de la cour, tu pratiques en même temps que les autres, tu vois... Plusieurs peuvent faire des tractions, s'entraider... quand on fait des choses difficiles ensemble, ça te donne de la force, tu vois, c'est dur aussi pour l'autre, tu n'es pas seul... Ça te motive, et en plus, tu noues des liens... Tu discutes. Et aujourd'hui, on est une équipe... Alors qu'avant, tu pratiquais seul..."
Dans cette perspective, le cas de Rico n'est pas isolé. D'autres détenus rencontrés lors de ces deux compétitions témoignent des changements dans leur pratique (plus agréable) et leurs interactions (plus fréquentes) avec d'autres détenus, ainsi qu'avec les gardiens, rendus possibles par l'installation de ce nouvel équipement. C'est aussi le point de vue d'un responsable de la prison de Poissy : "Les installations sont populaires, car nous sommes ensemble et au centre".
Sport en prison : empathie, santé et réintégration
Le vécu collectif de la difficulté générée par des exercices réalisés ensemble, en plus de développer des subjectivités, de s'exprimer et de mettre des sentiments en mots, semble contribuer à l'ouverture aux autres, à leur considération, et, si nécessaire, à les aider. Dans ce cas, il semble que les détenus ressentent de l' empathie envers leurs camarades de détention, une disposition qu'ils ont probablement manquée au moment des actions qui les ont conduits derrière les barreaux (Zanna, 2010). Alors que les observations ont offert une opportunité de saisir l'esprit olympique décrit précédemment par António Guterres, l'introduction du SWO dans les cours d'exercice a également eu des effets plus individuels, surtout sur la santé. Cela est illustré par le cas d'un détenu qui a perdu 30 kilogrammes (66 livres) depuis son incarcération et qui souligne fortement l'impact positif du sport sur sa santé physique. Clairement, pour les détenus, un programme sportif suffisant et soutenu offre l'opportunité de développer la littératie physique nécessaire pour prendre en compte la santé individuelle.
Si le sport, lorsqu'il est pratiqué avec "l'Esprit olympique", apporte une gamme d'avantages en termes de bien-être individuel et collectif dans les murs de la prison, il est également notable qu'il constitue un bon moyen de se préparer à la libération, c'est-à-dire à la réintégration (Shah et Umaraniya, 2023) soulignent le rôle essentiel du bien-être dans le processus de réhabilitation, affirmant : "Le bien-être est le premier pas primitif vers la réhabilitation" (p. 5). De plus, tandis que le sport peut effectivement contribuer au bien-être et donner un sens au temps d'incarcération, il peut servir de bouclier contre la radicalisation, comme le montre la recherche (Bentrar et Zanna, 2024) selon laquelle l'engagement dans ce processus provient souvent d'une quête existentielle. Pratiquer le sport en groupe pour se sentir bien avec soi-même et avec les autres peut, dans certains cas, fournir une réponse à cette quête et prévenir les actions extrêmes avec leurs conséquences désastreuses connues.
Conclusion
Il est évident que les activités sportives en prison, lorsqu'elles sont pratiquées avec l'Esprit olympique, offrent une multitude d'avantages tant individuellement que collectivement. En effet, l'expérience collective de l'effort physique partagé favorise l'ouverture aux autres et renforce la solidarité entre les détenus. Cette dynamique contribue au développement de compétences sociales telles que l' empathie, qui peuvent potentiellement faciliter le processus de réintégration dans la société (Maier et Ricciardelli, 2022). De plus, l'impact positif du sport sur la santé physique des détenus ne peut être sous-estimé, comme en témoigne le cas d'un détenu ayant perdu du poids grâce à une pratique régulière. Enfin, le sport peut également jouer un rôle crucial dans la prévention de la radicalisation, offrant une alternative constructive à ceux qui cherchent un sens à leur vie derrière les barreaux. En résumé, l'intégration du sport dans l'environnement carcéral, avec un engagement authentique envers les valeurs olympiques, peut véritablement contribuer à promouvoir le bien-être individuel et collectif des détenus, tout en favorisant leur réhabilitation et leur réintégration sociale.
Références
Bentrar, D., et Zanna, O. (2024, janvier 31). Pourquoi le salafisme attire-t-il certains jeunes ? The Conversation. http://theconversation.com/pourquoi-le-salafisme-attire-t-il-certains-je...
Bohler, S. (2019). Le Bug humain. Robert Laffont.
Durkheim, E. (2009). Sociology and Philosophy (Routledge Revivals). Routledge. https://doi.org/10.4324/9780203092361
Foucault, M. (2003). Surveiller et punir : Naissance de la prison. Gallimard.
Gras, L. (2005). Le sport en prison. Editions L’Harmattan.
Hammond, H., Meek, R., et Glorney, E. (2023). Healthy prison cultures : Factors influencing male prisoners’ engagement in exercise and subsequent healthy behaviours. International Journal of Prison Health, ahead-of-print(ahead-of-print). https://doi.org/10.1108/IJOPH-01-2023-0003
Hughes, T. T., et Habersleben, B. (2021). A chiropractor’s dream : The Teen Summit and the Green Hub Project for Teens. Journal od Clinical Chiropractic Pediatrics, 20(1), 1733‑1739. https://jccponline.com/JCCP20--01.pdf#page=15
Maier, K., et Ricciardelli, R. (2022). “Prison didn’t change me, I have changed” : Narratives of change, self, and prison time. Criminology et Criminal Justice, 22(5), 774‑789. https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/17488958211031336?icid=int.sj-a...
McGee, J. E. (2022). Rejecting the Paradigm : Reimagining the Philosophy of Punishment To Address the Criminal Justice Crisis in Twenty-First Century America.
Mutz, M., et Müller, J. (2023). Health Decline in Prison and the Effects of Sporting Activity : Results of the Hessian Prison Sports Study. https://www.ssoar.info/ssoar/bitstream/handle/document/85271/ssoar-2023-...
Shah, C. B., et Umaraniya, S. (2023). Beyond those Towering Walls : Architecture of Imprisonment and Human Well-being. In Future is Urban : Livability, Resilience et Resource Conservation : Proceedings of the International Conference on FUTURE IS URBAN: Livability, Resilience and Resource Conservation (ICFU 2021), December 16–18, 2021 (p. 1). Taylor et Francis.s
Rosa H., Résonance : une sociologie de la relation au monde, Paris, La Découverte, 2018
Zanna, O. (2010). Restaurer l’empathie chez les mineurs délinquants (Dunod). https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782100552306-restaurer-l-empa...