Théorie du contact intergroupe : passé, présent, et futur
Mettre en contact les membres de différents groupes peut s’avérer être bénéfique à nos sociétés, mais seulement sous certaines conditions. Qu’est-ce qui va permettre de faciliter ses interactions ? Quels sont exactement les effets bénéfiques de ces contacts ? Qu’est-ce qu’est concrètement la théorie du contact intergroupe ? Qu’est-ce que ce que la psychologie sociale propose, à travers cette théorie, peut offrir au monde, en particulier pour créer une société plus inclusive ?
Titre original : Intergroup contact theory: Past, present, and future. Écrit par Jim A. C. Everett, Édité par Diana Onu, Publié en 2013, Traduction par Armelle Nugier.
C’est en pleine période de ségrégation raciale et des lois « Jim Crow » aux États-Unis que Gordon Allport (1954) a proposé l’une des plus influentes théories de psychologie sociale du 20e siècle, en suggérant que le contact entre les membres de groupes différents pouvait, sous certaines conditions, réduire les préjugés et les conflits intergroupes. Cette idée est aujourd’hui l’une des idées les plus répandues et utilisées dans les politiques publiques à travers le monde. Par exemple, forts de cette idée, des organismes internationaux et très renommés comme l’UNESCO en sont venus à affirmer que le contact entre membres de groupes différents est essentiel pour améliorer les relations sociales. Dans la même veine, et pour ne citer que quelques exemples, plusieurs initiatives politiques explicitement en faveur d'un renforcement des contacts ont joué un rôle important dans l'amélioration des relations sociales entre les Noirs et Blancs Américains aux États-Unis, ou entre les protestants et les catholiques en Irlande du Nord. L’Afrique du Sud est aussi réputée pour avoir encouragé le développement d’une société plus inclusive basée sur le contact interracial après l’Apartheid. De nos jours, c’est cette reconnaissance des avantages du contact intergroupe qui est à l'origine des échanges scolaires et des programmes de jumelage entre différents groupes (Brown, 1995). Depuis les travaux pionniers d’Allport sur l’hypothèse du contact intergroupe, beaucoup de recherches ont été réalisées dans le but de mieux comprendre comment et quand le contact est efficace. Cet article propose un aperçu de la très vaste littérature concernant le rôle du contact dans la réduction des préjugés, en s’attardant sur les processus psychologiques expliquant son efficacité ou son échec, sur les récentes extensions théoriques de l'hypothèse du contact et sur les orientations de la recherche future. Le contact est l’un des facteurs les plus déterminants pour la réduction des préjugés et la promotion d’une société plus tolérante et inclusive et, à ce titre, il constitue un excellent exemple des applications concrètes que la psychologie peut offrir au monde.
L'hypothèse du contact
Initialement proposée par Gordon Allport en 1954, l’hypothèse du contact intergroupe postule que le contact entre les membres de groupes différents peut être bénéfique s’il se produit dans des situations caractérisées par quatre conditions (voir Tableau 1, voir aussi Pettigrew, 1998) :
- Statut égal : l’égalité de statut entre les membres des groupes lors de l’interaction ;
- Coopération : la coopération entre les membres des groupes ;
- Buts communs : la poursuite de buts communs (pouvant être atteints grâce à la coopération) ;
- Support institutionnel et sociétal : le soutien institutionnel et social exprimé par les sociétés dans lesquelles les membres s’insèrent (climat sociopolitique favorable).
Selon Allport, il est essentiel que les situations de contact présentent ces conditions dans une certaine mesure pour aboutir à l’amélioration des relations intergroupes (Pettigrew, 1998, 2016 ; Pettigrew et coll., 2011). Nombreux sont les exemples de contact intergroupe efficace dans lesquels ces conditions sont réunies. On retiendra ici le cas particulier des amitiés entre membres de groupes différents, voire rivaux. L’amitié est considérée dans la littérature relative au contact intergroupe comme l’un des facteurs les plus efficaces pour réduire les préjugés (Davies et coll., 2011). D’une part, l’amitié fait que les gens se considèrent d’égal à égal et se perçoivent comme assez semblables ; elle leur permet de coopérer pour atteindre des objectifs communs. D’autre part, elle entraîne souvent l’affranchissement des limitations sociétales et institutionnelles strictes qui peuvent ordinairement limiter l’établissement de relations plus intimes (par exemple, les lois contre le mariage entre personnes de même sexe ou de couleur ou d’ethnies différentes) ou professionnelles (asymétries de statuts). Par ailleurs, ce type de relations rend possible des contacts positifs répétés dans des situations variées, ainsi que la construction d’un lien plus profond entre les personnes qui interagissent, autorisant par là même l’augmentation de la connaissance à propos de l’exogroupe (Davies et coll., 2011 ; Pettigrew, 1998). De telles amitiés entre membres de groupes très différents conduisent ainsi au développement d’attitudes positives envers les membres de l’exogroupe et les conditions d’Allport fournissent un terrain qui favorise l’évolution de ce type d’amitiés.
Depuis les travaux pionniers d’Allport, de nombreuses recherches ont confirmé l'importance du contact dans la réduction des préjugés (Pettigrew et coll., 2011 ; Vezzali & Stathi, 2017). Les résultats tendent majoritairement à montrer que les expériences de contact positives réduisent les préjugés à l'égard des minorités (personnes de couleur, âgées, homosexuelles ou handicapées, pour n’en citer que quelques-unes, Caspi, 1984 ; Vonofakou et coll., 2007 ; Yuker & Hurley, 1987 ; Works, 1961). En 2006, Thomas F. Pettigrew et Linda R. Tropp (voir aussi Pettigrew & Tropp, 2008, 2011) ont publié une excellente méta-analyse sur le contact intergroupe qui supporte, là encore, l’hypothèse du contact et de son efficacité dans l’amélioration des relations intergroupes. Ce type d’analyse présente la particularité d’intégrer les résultats de multiples études scientifiques portant sur un phénomène particulier pour mesurer l’importance de ce dernier ainsi que celle des facteurs susceptibles de l’expliquer ou de l’influencer. Grâce à cette méta-analyse (basée sur plus de 500 études scientifiques), Pettigrew et Tropp (2006) ont pu vérifier que les effets du contact apparaissent pour un très large éventail de groupes et de situations. Par ailleurs, la méta-analyse révèle que, si le contact est particulièrement efficace lorsqu’il apparaît dans des situations structurées selon les quatre conditions d’Allport, ceci est également valable pour les situations non structurées qui ne remplissent pas, ou seulement partiellement, lesdites conditions. Ainsi, même dans les situations qui ne sont pas marquées par les conditions optimales d'Allport, le contact positif peut aboutir à une atténuation des préjugés. Ce résultat est important, car il nuance l’idée de la nécessité de réunir les quatre conditions d’Allport pour qu’émergent les effets positifs du contact. En effet, ces conditions n’apparaissent plus tant comme essentielles pour la réduction des préjugés et des stéréotypes, que comme facilitatrices du contact (et des effets du contact) entre membres de groupes différents (Pettigrew & Tropp, 2006, 2011). Elles n’en restent pas moins très importantes et doivent donc être prises en considération lors de la mise en place d’interventions psychosociales sur le terrain.
Il est important de noter que les effets du contact intergroupe sur les préjugés ont été observés sur plusieurs types de mesures ou de concepts associés, soulignant ainsi la robustesse de ces effets. Les contacts n'influencent pas seulement les mesures dites explicites des préjugés, pour lesquelles on demande généralement aux participants de rapporter leur propre ressenti (« Dans quelle mesure aimez-vous les homosexuels? »), leur perception (« Dans quelle mesure trouvez-vous les femmes compétentes ? »), ou leur intention envers un groupe ou des groupes particuliers (« Dans quelle mesure seriez-vous prêt à vous marier avec une personne catholique ? »), ils réduisent également les préjugés tels que mesurés de façon implicite. Les mesures explicites sont parfois considérées comme limitées, dans la mesure où un biais de désirabilité sociale peut inciter les gens à répondre aux questions en se montrant sous un jour favorable, en évitant de paraître déviant ou en se retenant d’exprimer une pensée profonde qui ne serait pas « politiquement correcte ». Typiquement, il s’agirait ici de contrôler ses réponses pour déclarer ne pas avoir de préjugés envers les minorités ou les membres d’autres groupes. Les recherches ont donc examiné les effets du contact en utilisant des mesures implicites. Ces mesures servent à capturer les attitudes spontanées envers un groupe, ou les processus automatiques qui leur sont sous-jacents, en dehors de tout traitement conscient, d’intention, ou contrôle de la part des individus, c’est-à-dire sans jamais leur demander directement leur avis (pour un exemple, voir la tâche d’association implicite développée par Greenwald et coll., 1998, pour une version française voir aussi Devos et coll., 2005, https://implicit.harvard.edu/implicit/france/). Le plus souvent, les protocoles impliquent que les participants réalisent des tâches extrêmement rapidement, par exemple des tâches de catégorisation de mots valencés (positifs ou négatifs), après avoir été exposés de façon inconsciente à des stimuli, comme des noms ou des images de personnes ou de groupes sociaux spécifiques. L’enregistrement des temps de réponse des catégorisations et des erreurs permet de savoir comment les stimuli sont appréciés par les personnes qui effectuent la tâche. D’autres types de mesures plus indirectes et de nature physiologique (par ex. activité cardiaque ou électrodermale, électromyographie) fournissent des informations sur les attitudes des individus sans qu’ils aient à exprimer leur avis. Les mesures implicites se sont avérées être un bon complément aux mesures explicites traditionnelles, en particulier lorsqu'il existe un fort risque de biais de désirabilité sociale (pour une discussion sur les mesures des préjugés, voir Dambrun & Guimond, 2003). En effet, il a été montré que le contact pouvait réduire la force des associations que les individus peuvent établir entre des concepts valencés positivement (par ex. « bon ») et leur propre groupe (l’endogroupe) d’une part, et des concepts valencés négativement (« mauvais ») et un exogroupe d’autre part (Aberson & Haag, 2007 ; Vezzali & Giovannini, 2011). D’autres recherches ont également mis en évidence qu’un contact positif est susceptible d’entraîner une réduction des réactions physiologiques au sentiment de menace que peuvent susciter les membres d’exogroupes (Blascovich et coll., 2001). Dans le même ordre d’idées, le contact parvient à modifier la façon dont les visages sont traités par le cerveau, en contribuant à accroître la perception de similitudes entre les visages de groupes différents (Walker et coll., 2008). Le contact a donc un effet réel et tangible sur la réduction des préjugés, de manière tant explicite qu’implicite. À présent, le rôle du contact dans la réduction des préjugés est si bien documenté qu'on peut raisonnablement l’appeler théorie du contact intergroupe (Hewstone & Swart, 2011).
Comment le contact fonctionne-t-il ?
De multiples mécanismes ont été proposés pour expliquer comment le contact réduit les préjugés (Kenworthy et coll., 2005). Quatre en particulier ont retenu l’attention des chercheurs : apprendre à connaître l’exogroupe et ses membres, créer des liens affectifs avec les membres de l’exogroupe, changer de comportement envers l’exogroupe, et réévaluer son groupe d’appartenance (Pettigrew, 1998). Ces mécanismes constituent des moyens à la fois cognitifs (apprendre à connaître l’exogroupe ou modifier la façon de penser dans son endogroupe), comportementaux (changer de comportement pour s'ouvrir à des expériences de contact potentiellement positives) et affectifs (générer des liens affectifs et des amitiés et réduire les émotions négatives), par lesquels le contact induit les changements d’attitudes attendus et donc produit son effet.
Entre tous, le mécanisme émotionnel est sans doute le plus important pour expliquer l’efficacité du contact (Pettigrew & Tropp, 2008). En effet, plusieurs recherches indiquent que le contact fonctionne en diminuant l'affect négatif (comme l’anxiété ou le sentiment de menace, Stephan, 2014) et en induisant un affect positif tel que l' empathie et la prise de perspective (Tausch & Hewstone, 2010). Si nous sommes à l'aise et non anxieux à l’idée de rencontrer un membre d’un exogroupe ou en sa présence, la situation de contact est beaucoup plus facile, et les relations s’en trouvent plus agréables et améliorées.
La généralisation de l’effet du contact
Une question importante qui n’a pas encore été abordée est de savoir comment les expériences de contact positives avec un membre de l’exogroupe et les attitudes positives qui s’ensuivent peuvent être étendues et généralisées aux autres membres de l’exogroupe. En effet, pour que le contact soit vraiment efficace (et ceci vaut particulièrement dans le cadre d’interventions psychosociales), il faut qu’il parvienne à diminuer les préjugés non pas envers une personne unique qui serait membre d’un groupe et ferait ainsi figure d’exception, mais envers tous les membres de son groupe.
Plusieurs modèles ont essayé d’identifier les conditions du transfert d’attitude positive obtenue par le contact à l’ensemble du groupe. Ces différents modèles posent tous la question de savoir si la représentation cognitive qu’ont les individus des groupes et de leurs membres lors de l’interaction peut faciliter ou au contraire inhiber l’établissement d’attitudes positives et de leur généralisation. D’une certaine manière, et pour simplifier un peu, ce qui est questionné ici c’est l’importance relative des appartenances groupales dans la situation de contact pour que ce dernier soit efficace.
Un premier modèle, dit de la décatégorisation ou de la personnalisation (Brewer & Miller, 1984), postule que l'effet positif du contact est obtenu en réduisant l'importance du groupe, afin que les individus se concentrent sur les caractéristiques personnelles des membres des groupes en présence, et non sur les attributs du groupe. L’objectif est donc d’éliminer la saillance des appartenances groupales et de promouvoir les interactions interpersonnelles lors desquelles les individus communiquent en tant que tels et non plus en tant que membres de groupes sociaux.
Un second modèle consiste au contraire à faire en sorte que les membres des groupes en contact se considèrent comme faisant partie d’une seule et même catégorie. Le processus cognitif en jeu ici est un processus de recatégorisation, et le modèle est nommé en conséquence, modèle de recatégorisation ou du groupe commun (Gaertner & Dovidio, 2000 ; Gaertner et coll., 1993). L’objectif est de créer une catégorie supraordonnée, qui conduira les membres des groupes à coopérer pour façonner une identité positive au groupe nouvellement formé. En conséquence, les membres des groupes, au départ distincts, en viendront à s’apprécier mutuellement parce qu’ils appartiennent désormais au même groupe.
Un troisième modèle, celui de la différentiation intergroupe mutuelle (Hewstone & Brown, 1986 ; Johnston & Hewstone, 1992), propose quant à lui de respecter les appartenances groupales existantes en ne les atténuant pas lors du contact. Au contraire, le modèle propose de favoriser la coopération entre les membres de groupes différents dans la réalisation d’un objectif commun. Dans cette optique, les individus sont définis à la fois en tant que membres des sous-groupes (par exemple les hommes et les femmes) et d’une catégorie commune supraordonnée (par exemple les humains, voir aussi le modèle de l’identité duelle, Gaertner et coll., 1996). Leurs rôles dans l’interaction doivent être distincts et complémentaires pour augmenter la chance d’obtenir un contact positif. C’est la reconnaissance des groupes qui permettrait que l’effet positif du contact se généralise à l’ensemble de leurs membres. Ainsi, selon ce modèle – et contrairement aux deux modèles précédents – il n’est plus question d’atténuer l’importance ou la saillance du groupe durant l’interaction pour valoriser les relations interpersonnelles ou une catégorie d’appartenance plus large, mais au contraire de mettre en avant et de célébrer les différences.
Si ces modèles présentent tous des avantages et des inconvénients, ils peuvent néanmoins être considérés comme complémentaires (Gaertner & Dovidio, 2000) et s’avérer plus ou moins efficaces aux différents stades d'une situation de contact prolongé. C’est ce qu’avance Pettigrew (1998) dans sa théorie du contact intergroupe revisitée. Pettigrew propose en effet un modèle intégratif en trois étapes, basé sur les modèles de décatégorisation, catégorisation et recatégorisation, à instaurer au fil du temps pour optimiser la réussite du contact et la généralisation (voir Figure 1). Tout au long du processus, mais particulièrement lors de la première étape, la présence des conditions optimales d’Allport ainsi que d’autres facteurs non inhérents à la situation et des variables individuelles favorables faciliteraient l’établissement du contact.
Lors du contact initial (étape de décatégorisation, comme dans Brewer & Miller, 1984), l'identité personnelle des participants (et non celle du groupe) devrait être mise en valeur pour promouvoir le goût des relations interpersonnelles. L’échange d’informations personnelles entre les membres des groupes lors du premier contact rend en effet plus évidentes les ressemblances entre les individus, ce qui réduirait les stéréotypes et l’anxiété et augmenterait l’empathie. À ce stade, l’effet du contact aurait toutefois de la difficulté à se généraliser. L’étape suivante consiste donc à mettre en évidence les catégories sociales des individus pour généraliser l'effet positif du contact sur l'ensemble du groupe (étape de catégorisation saillante, comme dans Johnston & Hewstone, 1992). Les rencontres doivent être multipliées avec des exemplaires différents et typiques de la catégorie (par ex. différents membres du groupe) pour que la réduction des stéréotypes soit en mesure de s’étendre au reste du groupe. Enfin, lors de la troisième étape (étape de recatégorisation), les identités de groupe sont remplacées par celle d’un groupe d’ordre supérieur qui les rassemble plus encore. Les identités de groupe passent de « Nous contre Eux » à un « Nous » plus inclusif (comme dans Gaertner et coll., 1993). Ce modèle par étapes pourrait fournir une méthode efficace pour généraliser les effets positifs des contacts entre groupes.
Extensions théoriques
Toutefois, même avec un tel travail de généralisation, il peut être irréaliste d'espérer que les membres du groupe auront suffisamment d'occasions d'établir un contact positif avec les membres d’exogroupes : parfois, le simple contact est incroyablement difficile, voire impossible à obtenir, comme pourraient l’illustrer les relations entre protestants et catholiques du conflit en Irlande du Nord. Aussi, les travaux récents sur le rôle du contact intergroupe dans la réduction des préjugés se sont-ils éloignés de l'idée qu’il doit nécessairement consister en un contact direct (face à face) entre les membres du groupe et supposent qu’un contact indirect (par exemple, un contact imaginaire ou vicariant) peut également avoir un effet bénéfique.
Un premier exemple de cette approche provient de l'hypothèse de contact étendu de Wright et collaborateurs (1997). Wright et ses collègues proposent que le simple fait de savoir qu'un membre de l’endogroupe entretient une relation étroite avec un membre d’un exogroupe peut améliorer les attitudes intergroupes. C’est ce qu’on appelle le contact par extension. Dans la même veine, le contact dit vicariant, c’est-à-dire le simple fait d’observer une interaction entre membres de groupes différents, ou entre un membre de son groupe et un membre d’un autre groupe, peut entraîner une diminution des préjugés. Schiappa et collaborateurs (2006), par exemple, ont montré que le simple fait de regarder des émissions de télévision qui dépeignent des contacts positifs incluant des membres de la communauté LGBTQ+ était associé à des niveaux de préjugés plus faibles envers les membres de cette communauté.
Un deuxième exemple d'approche indirecte des contacts consiste à imaginer le contact plutôt que de le vivre. Dans une extension de l’hypothèse du contact étendu, Crisp et Turner (2009, 2013) ont suggéré que les expériences réelles ne sont pas forcément nécessaires pour améliorer les attitudes intergroupes, et que le simple fait d'imaginer des contacts avec des membres de l’exogroupe pourrait suffire à améliorer les attitudes intergroupes. Cette hypothèse a été étayée dans beaucoup d’études et l’effet du contact imaginé a été observé au niveau tant explicite qu’implicite des préjugés, et dans des groupes variés, par exemple des musulmans britanniques (Husnu & Crisp, 2010), des personnes âgées (Abrams et coll., 2008), et des hommes homosexuels (Turner et coll., 2007). Ces résultats sont d’autant plus impressionnants que les consignes pour induire le contact restent assez faciles à mettre en œuvre. Il est en effet simplement demandé aux participants de s’imaginer en train d’interagir avec un membre d’un groupe cible et que cette interaction soit positive, agréable et relaxante. On voit ici l’intérêt majeur de ce type de mise en œuvre pour des applications pratiques visant à reconnecter des groupes engagés dans un conflit exacerbé ou de longue durée.
Limites et perspectives de recherches
Si le contact a des effets positifs importants sur l'amélioration des relations entre les groupes, il a cependant ses détracteurs. Dixon et collaborateurs (2005 ; Dixon, 2017), notamment, affirment que bien que le contact ait joué un rôle important en montrant comment nous pouvons promouvoir une société plus tolérante, la littérature existante ne présente malheureusement que très peu de travaux sur la manière dont le contact intergroupe peut influer sur l'évolution de la société. En effet, les changements d' attitude envers les exogroupes à la suite d'un contact n'accompagnent pas nécessairement les changements de croyances idéologiques qui sous-tendent l'inégalité entre les groupes. Par exemple, Jackman et Crane (1986) ont démontré qu'un contact positif avec des personnes Noires-Américaines améliorait les réactions affectives des Américains Blancs envers les Noirs, mais ne modifiait pas leur attitude envers la politique de lutte contre les inégalités en matière de logement, d'emploi et d'éducation.
Par ailleurs, le contact peut également avoir l'effet contre-productif d'affaiblir les motivations des membres de la minorité à s'engager dans une action collective visant à réduire les inégalités entre groupes. Par exemple, Dixon et collaborateurs (2007) ont constaté que plus les Sud-Africains noirs avaient de contacts avec les Sud-Africains blancs, moins ils soutenaient les politiques visant à réduire les inégalités raciales. Le contact positif peut en effet laisser l’impression aux membres des groupes défavorisés que les exogroupes favorisés les traitent de façon juste et que les inégalités seront à terme solutionnées, laissant ainsi les différences de statut intactes. En tant que telle, une orientation fructueuse pour la recherche future consisterait à étudier dans quelles conditions le contact pourrait conduire à des relations intergroupes plus positives sans diminuer les protestations légitimes visant à réduire les inégalités. Une recommandation prometteuse serait de mettre l'accent sur les points communs entre les groupes tout en s'attaquant aux inégalités problématiques pendant la situation de contact. Une telle situation de contact pourrait en effet entraîner une réduction des préjugés sans perdre de vue l'existence des inégalités intergroupes (Saguy et coll., 2009).
Une autre limite que laissent entrevoir les recherches sur le contact est qu’elles concernent principalement le contact positif ; elles négligent ainsi le contact négatif et ses conséquences pour les effets de généralisation, et plus globalement les relations intergroupes (Graf & Paolini, 2017). En outre, peu d’études se sont penchées sur les facteurs négatifs qui empêcheraient d’avoir un contact positif ou nuiraient à sa généralisation. Un travail d’approfondissement des freins à l’établissement d’une relation positive et sereine entre les membres de groupes différents apporterait une contribution intéressante aux données existantes.
Conclusion
Dans cet article, il a été mis en avant que le contact positif est un facteur tout à fait déterminant dans la réduction des préjugés et la promotion de bonnes attitudes intergroupes. Le contact intergroupe direct (face à face) s’avère efficace pour apaiser les tensions et améliorer les relations intergroupes, tout comme le contact indirect, pour peu que celui-ci ait lieu dans des conditions favorables au développement des relations. En effet, il induit la perception que les groupes partagent des intérêts communs, se ressemblent en fait assez et appartiennent à une supracatégorie commune ; ainsi le contact s’avère nécessaire pour atteindre des objectifs politiques dans une variété de domaines allant de l’emploi au logement en passant par l’éducation. Les recherches présentées ici, et bien d’autres encore sur le même sujet, ont des implications sociétales majeures. Notamment, les travaux sur l’hypothèse du contact mettent en évidence l'importance du soutien institutionnel et de la promotion de relations plus positives entre les groupes, de l'égalité de statut, de la coopération et d’une (re)présentation médiatique positive des amitiés entre les groupes pour diminuer les préjugés. Comme l'affirment Hewstone et Swart (2011) :
« La psychologie sociale fondée sur la théorie est importante, pas seulement en laboratoire, mais aussi à l'école, dans le quartier et plus largement pour l’ensemble de la société. » (Hewstone & Swart, 2011, p. 380)
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