Edito. Immigration, séparatisme, radicalisation : que dit la recherche en psychologie sociale ?

Ce numéro spécial thématique sur l’immigration réunit des travaux scientifiques de psychologie sociale qui examinent entre autres, la question du séparatisme qui se trouve au cœur de la proposition de loi adoptée le 12 avril 2021 par le Sénat. Faut-il interdire voire sanctionner la pratique de la religion dans l’espace publique pour en finir avec la radicalisation ? En d’autres termes, faut-il obliger les immigrés à adopter la culture d’accueil pour assurer leur intégration ? Faut-il afficher des drapeaux nationaux dans toutes les salles de classe pour augmenter la cohésion au sein de notre pays ? Dans quelles conditions, le contact entre Français avec et sans antécédent d’immigration peut diminuer les préjugés ?

Un premier article intitulé « Terrorisme, Islamisme et radicalisation : des clefs scientifiques pour l’action politique » est signé par Jais Adam-Troian et Yara Mahfud. Les auteurs présentent le modèle théorique le plus abouti du processus de radicalisation, incluant trois facteurs complémentaires : le besoin des individus à se sentir reconnus socialement, l’exposition à des discours légitimant la violence et l’insertion dans des réseaux sociaux qui permettent le passage à l’acte.

Le besoin de « signification » aux yeux des autres, de valorisation, de reconnaissance sociale, est primordial. Les chercheurs montrent qu’il y a des conditions de création et de satisfaction de ce besoin, un mécanisme qui entretien ainsi un cercle vicieux de la radicalisation. Par exemple, l’exclusion sociale des jeunes issus des quartiers défavorisés peut créer le besoin de valorisation, de reconnaissance sociale. Ils se retrouvent ainsi vulnérables face à des organisations extrémistes qui leur proposent la participation à un projet « grandiose », perçu comme revalorisant.

Si l’intervention des forces de l’ordre pour le démantèlement des réseaux est indispensable, ainsi que l’amélioration des conditions socio-économiques, il ne faut pas négliger les facteurs psycho-sociaux de la radicalisation. Seule une politique qui permettrait une réelle intégration des jeunes issus de l’immigration, une vraie reconnaissance à travers des projets valorisés socialement, romprait ce cercle vicieux de la radicalisation. Rappelons-nous que le terrorisme n’est lié à aucune religion ou idéologie en particulier : il est lié, entre autres, à la perception d’exclusion sociale, de discrimination, de préjugé à l’encontre de son groupe d’appartenance. Au sentiment qu’il n’y a pas d’autres voies pour avoir une signification aux yeux des autres, que par la violence.

Afin de lutter contre la radicalisation, le gouvernement propose différentes mesures pour incriminer le séparatisme, supposé comme étant responsable. Imposer aux immigrés l’adoption de la culture d’accueil apparaît ainsi comme une solution. Dans un deuxième article, intitulé « Le fantasme du bon immigré : au-delà du conformisme culturel », Antoine Roblain examine cette question. Des programmes d’intégration ont été proposés dans plusieurs pays européens pour exiger la preuve de l’adoption de la culture d’accueil, en incluant des tests de langue, la participation à des enseignements d’histoire, l’adhésion à des valeurs démocratiques et de l’égalité de genre. En général, les immigrés qui suivent ces programmes sont évalués plus favorablement par rapport à ceux qui n’en font pas la preuve.

Cependant, contraindre les immigrés à adopter la culture d’accueil pose problème. Admettons que les immigrés adoptent davantage notre culture, dans ces conditions. Ils ne seront pas mieux évalués par les Français, ces derniers considérant que la contrainte est la raison de l’adoption de leur culture et non pas la motivation personnelle des immigrés. Apprendre plus sur la culture d’accueil répond avant tout à des besoins pragmatiques comme celui de trouver un emploi. Ce qui est plus déterminant dans les rapports intergroupes est l’attachement identitaire des immigrés à la société d’accueil, la fierté d’appartenir à la même nation. Des travaux de recherche montrent qu’un des facteurs influençant cet attachement est l’expérience de vie des immigrés. Plus les immigrés se sentent discriminés, plus ils prennent des distances par rapport à la société d’accueil. Ainsi les décisions politiques devraient davantage porter sur les programmes de lutte contre la discrimination qui faciliterait par ailleurs, l’adoption de la culture française.

L’attachement identitaire au niveau national peut être influencé par plusieurs facteurs parmi lesquels - l’exposition à des symboles. Gaelle Marinthe, Rodolphe Kamiejski et Benoit Testé proposent un article intitulé « Les symboles nationaux comme vecteurs d’unité ? Rôle du drapeau dans l’attachement au groupe national et les relations intergroupes ». Les auteurs montrent que l’exposition aux symboles nationaux et en particulier au drapeau, renforce l’unité du groupe avec une plus grande acceptation des minorités issues de l’immigration. Les conséquences de cette exposition au niveau des relations intergroupes sont plus mitigées. Se trouver en présence du drapeau national peut, dans certaines circonstances, augmenter les préjugés à l’égard des immigrés et des étrangers, en général. C’est surtout lorsque les chercheurs utilisent des mesures implicites, qui échappent au contrôle des participants, que cet effet est mis en évidence. Dans d’autres études, l’exposition au drapeau national, peut au contraire, diminuer les préjugés.

La clé de l’issue de cette exposition est le type d’attachement au groupe national, chez les membres de la société d’accueil : être nationaliste versus patriote. Le nationalisme est une forme d’attachement qui positionne son groupe national au-dessus des autres. Il se distingue du patriotisme qui n’inclut pas cette idée de supériorité. L’exposition aux symboles peut attiser le nationalisme et augmenter l’hostilité envers les immigrés et les étrangers. Encourager le patriotisme dans les programmes d’éducation (plutôt que le nationalisme) peut augmenter l’effet bénéfique de l’exposition aux symboles tels que le drapeau, sur l’unité et la cohésion au sein du groupe national.

On ne pouvait pas terminer ce numéro, sans une note optimiste. Il est tout à fait compréhensible que les membres de la société d’accueil puissent avoir un sentiment de menace, d’anxiété, face aux immigrés. Dans l’article « Théorie du contact intergroupe : passé, présent, futur », Armelle Nugier évoque des travaux de recherche montrant une diminution de cet affect négatif, suite au contact intergroupe. La théorie la plus avancée identifie trois étapes d’un contact réussi. Dans un premier temps, des relations personnelles telles que l’amitié avec les membres d’un autre groupe peut diminuer l’anxiété et augmenter l’empathie. Il s’agit plutôt des relations entre des individus qui ne mettent pas en avant leur appartenance de groupe. Pour que ce contact positif se généralise à d’autres membres du groupe en question, une deuxième étape est nécessaire dans laquelle les appartenances groupales de individus deviennent saillantes. Il s’agirait ici des relations de coopération dans lesquelles les rôles des groupes sont distincts et complémentaires. Cette reconnaissance sociale de l’apport des « autres » assure le succès du contact dans cette phase. Enfin, lors d’une dernière étape, cette distinction entre « nous » et « eux » est remplacée par l’inclusion dans une catégorie commune « nous, les Français » dans laquelle chacun et chacune retrouve sa place.

Le succès du contact intergroupe dépend de plusieurs éléments tels que l’égalité de statut entre les groupes en interaction, la coopération, la poursuite d’un but commun et le soutien institutionnel. Si ces conditions ne sont pas toujours réunies, le contact positif entre les groupes peut néanmoins diminuer les préjugés comme le montre un examen approfondi de plus de cinq-cents études. Sans oublier la lutte contre les inégalités, le contact positif représente une source importante d’inspiration pour la mise en place des programmes éducatifs, afin de combattre les préjugés et d’encourager l’inclusion sociale.

Constantina Badea
Editrice du numéro thématique « Immigration, séparatisme, radicalisation : que dit la recherche en psychologie sociale ? ».