Edito. Une approche psychosociale des inégalités

Les inégalités et leur conséquences

Les différences de répartition des richesses, les inégalités de chances, de classes ou de traitement du fait de son appartenance à un groupe donné intéressent les chercheurs et les chercheuses en psychologie sociale depuis les origines de cette discipline. L’intérêt est tel que l’appel à publication sur cette thématique a suscité un très grand nombre de propositions d’articles. Nous avons donc pris la décision de publier deux numéros thématiques sur ce sujet. 

Ce premier numéro « Les inégalités et leurs conséquences » traitera des enjeux suivants : Quelles sont les conséquences comportementales et psychologiques des inégalités ? Comment et pourquoi se maintiennent-elles en dépit d’un attachement fort aux notions de justice et d’égalité ? Pourquoi les groupes dominés ne se révoltent-ils pas davantage pour remettre en question un système qui manque d’équité ? Peut-on faire un parallèle entre les problèmes liés aux inégalités et ceux liés à l’environnement ? Les cinq articles de ce numéro synthétisent un ensemble de travaux de psychologie sociale qui permettront d’apporter des éléments de réponse à ces questions. 

Un premier article de Victor Auger, Céline Darnon et Alice Normand intitulé « Avoir peu (ou beaucoup) d’argent dans une société (in)égalitaire : conséquences psychologiques et comportementales » présente les conséquences psychologiques et comportementales des inégalités de revenu. L’ensemble des travaux présentés met l’accent sur la nécessité de considérer les inégalités de revenus, non pas comme un manque dans l’absolu, mais comme une perception de privation en comparaison à autrui. Si cet article ne mentionne pas directement la question des stéréotypes, il permet d’envisager ceux qui collent à la peau des personnes qui ont de l’argent ou de celles qui n’en ont pas. C’est l’objet du deuxième article de ce numéro thématique.  

Celui-ci est intitulé « Les riches sont-ils « faits » pour être riches, et les pauvres pour être pauvres ? Le rôle des stéréotypes dans la justification et le maintien des inégalités sociales ». Il est rédigé par Eva Louvet, Cécile Gaubert et Charlotte Rauscher. Les auteures présentent un ensemble de travaux expliquant comment les stéréotypes peuvent servir à justifier les inégalités socio-économiques. Plus précisément, cet article explique comment et pourquoi les qualités et défauts attribués (parfois de manière caricaturale) aux groupes de haut statut légitiment une certaine hiérarchie sociale. Des théories majeures de la psychologie sociale (i.e., l’identité sociale et la justification du système) servent de socle théorique à la démonstration des auteures. Cet article introduit également une autre question : pourquoi les personnes subissant les inégalités ne se révoltent-elles pas plus souvent ?

Le troisième article de ce numéro thématique tâchera de proposer des éléments de réponse à cette question. Il est intitulé « Pourquoi les révolutions sont-elles si rares ? La justification du système comme principe explicatif de la légitimation des inégalités ». Dans cet article, Frédérique-Anne Ray et Lola Girerd expliquent pourquoi nous sommes motivés à « percevoir ce qui est comme ce qui devrait être ». Autrement dit, les auteures mobilisent un ensemble de recherches sur la théorie de la justification du système pour expliquer comment des situations inégalitaires ou oppressives peuvent paraître légitimes. Cette réflexion sera poursuivie avec le cas particulier des inégalités de genre. 

Dans le quatrième article de ce numéro thématique, Jeanne Boisselier développe une réflexion sur la légitimation des inégalités de genre. Dans son article intitulé « Quand les femmes justifient les inégalités de genre : les éclairages des théories du sexisme bienveillant et de la justification du système », elle explique les mécanismes psychologiques qui peuvent amener certaines femmes à adhérer aux stéréotypes de genre voire à les justifier. Elle met en évidence le rôle central du sexisme bienveillant dans les phénomènes sociaux qu’elle présente. Plus spécifiquement, l’auteure décrit comment des femmes peuvent percevoir certaines inégalités de genre comme des gains, et donc justifier le système dans lequel elles vivent. Cette tendance à justifier le système qui est présentée dans trois des quatre premiers articles est également au cœur du cinquième et dernier article de ce numéro thématique. 

Johann Suchier, Alexis Leroy et Christophe Demarque présentent une synthèse des travaux en psychologie sociale et en psychologie politique dans leur article intitulé « Nos prises de position environnementales : une question d’inégalités sociales ? ». Les auteurs rapportent des éléments scientifiques démontrant que les inégalités sociales peuvent conduire à prendre position vis-à-vis de l’environnement. Deux théories – la théorie de la justification du système et la théorie de la dominance sociale – sont présentées afin de comprendre comment la légitimation des inégalités peut en partie déterminer nos croyances, attitudes et comportements envers l’environnement. 

Au travers de ces cinq articles, nous avons pour ambition de présenter des éléments scientifiques permettant de mieux comprendre les effets des inégalités et surtout pourquoi elles se maintiennent à travers le temps et les différentes sociétés. 

Daniel Priolo et Sylvain Caruana
Editeurs du numéro thématique « Une approche psychosociale des inégalités ».

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