La science ouverte à la rencontre des revues scientifiques.
Les revues scientifiques sont essentielles à la science, car elles permettent aux chercheurs de faire connaître leurs travaux. Pourtant, le modèle économique de ces revues ne permet pas la diffusion gratuite et immédiate des articles qui sont publiés. Le mouvement pour la science ouverte a donc œuvré pour que les revues scientifiques soient plus transparentes et ouvertes. Ces recommandations portent tout autant sur la diffusion des articles scientifiques dans des revues en libre accès que sur le contenu de ces articles. La culture « publish or perish » questionne cependant le système de publication des revues scientifiques dans son ensemble.
Allégorie des évolutions du système de publication des revues scientifiques avec l’arrivée du mouvement pour la science ouverte. Image créée avec l'aide de DALL-E 2.
Définir la science dépasserait largement l’envergure de cet article, il y a toutefois une chose essentielle à retenir : la science est cumulative (Klein et coll., 2018). C’est un peu comme une longue chaîne de savoirs où chaque scientifique apporterait son maillon en s’accrochant à celui des autres. Pour que la science soit cumulative, il faut donc que les savoirs scientifiques puissent être retrouvés. Comment s’attacher au maillon précédent si on ne peut pas le récupérer ?
Les publications scientifiques visent justement à diffuser ces savoirs. Elles prennent de nombreuses formes, telles que les ouvrages collectifs, les comptes-rendus de congrès scientifiques ou encore – et ce sont ces dernières qui vont précisément nous intéresser – les revues scientifiques. Mais attention, diffusion des savoirs n’implique pas forcément accessibilité à ces savoirs. On peut créer un nouveau maillon et le garder pour soi. C’est pour cette raison que le mouvement pour la science ouverte a également proposé des pratiques plus transparentes et ouvertes pour les revues scientifiques. Cet article se veut donc à la fois un guide pour ceux et celles qui voudraient s’initier aux revues en libre accès, mais également comme une réflexion plus large autour du système de publication des revues scientifiques.
Les revues scientifiques « traditionnelles »
Comment fonctionne le système de publication des revues scientifiques ?
Les deux premières revues scientifiques au monde sont apparues en 1665 à Londres et à Paris (Banks, 2009). Les revues actuelles fonctionnent quasiment sur les mêmes principes. Un ou plusieurs scientifiques décident d’écrire un article pour présenter leur travail (pour un guide complet sur la rédaction d’un article scientifique, voir Ibrahim & Dimick, 2018). Puis ceux-ci choisissent une revue pour soumettre cet article à la publication. Les revues acceptent généralement plusieurs types d’articles : empiriques (dont les résultats n’ont jamais été publiés) ou théoriques (réflexion sur des savoirs déjà acquis). Spécialisée dans un domaine particulier, chaque revue comporte un comité éditorial et un comité de lecture. Le comité éditorial, composé de scientifiques ou de professionnels, va décider de rejeter ou d’envoyer l’article en expertise s’il le juge de bonne qualité et correspondant aux champs de la revue. Puis le comité de lecture, constitué de scientifiques experts de la discipline, évalue l’article : c’est le processus d’évaluation par les pairs. Ceux-ci peuvent décider que l’article est rejeté, accepté sans modification ou accepté avec modifications mineures ou majeures. Si l’article est rejeté, les auteurs peuvent alors décider de le réviser et de le soumettre à une autre revue. Si des modifications sont demandées, un processus d’allers-retours entre les auteurs et le comité de lecture a lieu jusqu’à ce que l’article soit satisfaisant. Le plus souvent, l’évaluation est dite en double aveugle, ce qui signifie que le comité de lecture ainsi que les auteurs restent anonymes les uns pour les autres tout au long du processus d’évaluation.
Pourquoi vouloir réformer le système de publication des revues scientifiques ?
Lorsqu’un article est finalement publié, il n’est pas directement accessible. Les revues scientifiques « traditionnelles » sont payantes. Il est possible pour des particuliers d’acheter un article à la demande, mais la plupart du temps ce sont des bibliothèques universitaires qui vont s’abonner à une ou plusieurs revues. Le prix de ces abonnements varie selon les éditeurs, mais aussi selon le support des articles (papier ou électronique). Ce modèle économique est donc vivement critiqué pour plusieurs raisons. D’une part, les articles sont écrits par des scientifiques financés majoritairement par des fonds publics, et ce sont ensuite les universités, reposant également sur des fonds publics, qui vont acheter le droit d’accéder à ces articles. D’autre part, cela questionne moralement la transparence des revues scientifiques : les connaissances ont besoin d’être librement accessibles pour que la science soit réellement cumulative. Pour plus d’informations, la chaîne YouTube « Data Gueule » a proposé une vidéo de synthèse de ces réflexions : https://www.youtube.com/watch?v=WnxqoP-c0ZE.
Toutefois, le système de publication des revues scientifiques n’est pas contesté uniquement en raison de son manque d’ouverture. La performance des revues scientifiques peut être évaluée par différents indicateurs, dont notamment le Facteur d’Impact (FI). Il correspond au nombre de citations des articles publiés sur un an par rapport au nombre d’articles publiés en deux ans. Il existe d’autres indicateurs, comme le Scimago Institutions Rankings (SJR), mais ces derniers fonctionnent globalement sur les mêmes principes de calcul. Pour améliorer leur impact, les revues tendent donc à publier des résultats nouveaux et significatifs qui vont attirer les lecteurs et les citations. Ce faisant, les résultats nuls – ceux ne pouvant démontrer l’effet attendu – ont graduellement disparu de la littérature, tout comme les réplications directes – la réplication d’études déjà existantes pour vérifier la consistance des résultats (Fanelli, 2012). Mais il n’y a pas que les revues dont la performance est évaluée par ce type d’indicateurs, celle des scientifiques dépend également du nombre d’articles qu’ils publient ainsi que du nombre de citations qu’ils obtiennent, c’est le H-index. Cette évaluation est devenue essentielle, à la fois pour les jeunes chercheurs qui souhaitent obtenir un emploi à durée indéterminée, mais aussi pour les chercheurs plus expérimentés au travers de l’avancée de carrière et de l’obtention de bourses de recherche. En moins de trente ans, le nombre de revues scientifiques a considérablement augmenté, tout comme le nombre d’articles publiés (Kyvik & Aksnes, 2015). Ce système est souvent résumé par l’expression « publish or perish » ou en français, « publier ou périr ». Cette culture a des conséquences délétères non seulement sur la qualité des productions scientifiques, mais aussi sur la santé mentale et le bien-être des scientifiques (Frith, 2020).
Les revues scientifiques en libre accès
Comment publier en libre accès ?
Le terme « libre accès » signifie que les publications scientifiques sont librement accessibles. Il existe plusieurs manières de publier en libre accès.
La première est désignée sous le terme de voie dorée et concerne spécifiquement les revues en libre accès. Ces dernières mettent « à disposition immédiate, gratuite et permanente » les articles qu’elles publient (Morival et coll., 2021, p. 16). Toutefois, les coûts de publication, comme l’hébergement sur un serveur ou l’indexation dans des bases de données, ne disparaissent pas. Ils peuvent être couverts par les auteurs des articles qui payent alors des frais de publication (APC, « Article Processing Costs »). Le site Open APC (https://treemaps.openapc.net/page/about.html) permet de retrouver les frais moyens de publication payés par les universités et les institutions de recherche, ainsi que les APC facturés par les revues (en 2022, en moyenne 1 910 euros). Plus rare, il existe également des revues dont les coûts de publication sont couverts par une société savante, c’est le cas de la « Revue Internationale de Psychologie Sociale » soutenue par l’Association pour la Diffusion de la Recherche Internationale en Psychologie Sociale (ADRIPS). Certaines revues dites hybrides offrent enfin la possibilité de publier de manière traditionnelle ou en libre accès. La deuxième voie pour publier en libre accès est dénommée verte. Cette fois-ci, une version de l’article est déposée dans des archives ouvertes (c.-à-d., gratuite).
On considère, le plus souvent, trois types de versions pour un article : avant la publication (ce qu’on appelle des prépublications ; l’article n’a pas été évalué par les pairs), acceptée pour publication (« Author Accepted Manuscript » ; l’article a été évalué par les pairs, mais il n’y a pas eu de mise en forme par la revue) et publiée (version finale de l’article mise en ligne par la revue). De nombreuses archives ouvertes ont vu le jour ces dernières années. Certaines sont disciplinaires, comme la plateforme PsyArXiv pour la psychologie, et d’autres sont institutionnelles, comme la plateforme interdisciplinaire HAL en France. Il faut cependant noter que toutes les revues scientifiques n’accordent pas le droit aux auteurs de déposer les différentes versions de leur article dans des archives ouvertes. Les revues peuvent également imposer une période d’embargo durant laquelle l’article publié ne peut être diffusé librement. Pour connaître les différentes options de diffusion possibles d’un article, le site Sherpa Romeo recense les politiques de publication de nombreuses revues (https://beta.sherpa.ac.uk/). Par ailleurs, le site DOAJ (Directory of Open Access Journals) propose un index des revues existantes en libre accès (https://doaj.org/).
Malheureusement, le fonctionnement des revues en libre accès a amené au développement d’une dérive frauduleuse : les revues prédatrices. Ces dernières se font passer pour des revues en libre accès, mais leur objectif est uniquement de récupérer les frais de publication. Afin de rester vigilants, l’initiative « Think. Check. Submit. » donne des ressources pour examiner la fiabilité d’une revue (https://thinkchecksubmit.org/).
Enfin, d’autres propositions ont été faites pour rendre les savoirs scientifiques accessibles. L’une d’entre elles est la plateforme clandestine Sci-Hub, créée par la chercheuse Alexandra Elbakyan, dont la démarche consiste à récupérer et à donner accès illégalement à de nombreux articles scientifiques normalement payants.
Comment la science ouverte reforme-t-elle le système de publication des revues scientifiques ?
Le mouvement pour la science ouverte ne vise pas uniquement à donner accès aux contenus des revues scientifiques, il a eu et continue d’avoir un impact sur les pratiques de ces dernières.
L’initiative la plus connue est probablement les « principes pour la Promotion de la Transparence et de l'Ouverture » (« Transparency and Openness Promotion (TOP) guidelines » ; https://www.cos.io/initiatives/top-guidelines). C’est une liste de normes auxquelles les revues scientifiques peuvent adhérer (Nosek et coll., 2015). Elles sont au nombre de huit et concernent tout autant la transparence des données et du matériel, que la réplication ou encore le préenregistrement (qui font l’objet d’un article dans ce numéro spécial). Ces normes peuvent être mises en place à différents niveaux. Certaines revues, par exemple, n’imposent pas le partage des données, du matériel et le préenregistrement mais récompensent par des badges les articles qui adhèrent à ces principes.
Illustration de la manière dont le mouvement pour la science ouverte reforme le système de publication des revues scientifiques. Image créée avec l'aide de DALL-E 2.
Concernant le comité de lecture, de plus en plus de revues ont décidé de mettre en libre accès le contenu de l’évaluation par les pairs. Les évaluateurs peuvent également adhérer à « l’initiative d’ouverture des pairs » (« Peer Reviewers’ Openness Initiative ») en attestant que les articles dont ils feront l’évaluation respectent des critères minimums de transparence (Morey et coll., 2016 ; https://www.opennessinitiative.org/the-initiative/). Enfin, la taxonomie CRediT (Contributor Roles Taxonomy) veille à apporter de la transparence sur les contributions des auteurs d’un article (Holcombe, 2019). Adoptée par de nombreuses revues, elle recense 14 rôles possibles pour chaque auteur, comme la conceptualisation, l’obtention de financement, la supervision ou encore la rédaction de la première version de l’article. Le site tenzing lui est ainsi dédié (https://rollercoaster.shinyapps.io/tenzing/).
Les revues scientifiques de demain
Les initiatives en science ouverte répondent donc à la fois à la fermeture des revues scientifiques traditionnelles, mais aussi aux conséquences du système qui entoure ces dernières et qui a grandement participé à la crise de la réplication (pour en savoir plus, un article de ce numéro spécial est dédié à la crise de la réplication). Il reste toutefois que le fonctionnement des revues scientifiques est le même depuis plus de 350 ans. Certains auteurs imaginent donc de nouvelles manières de publier. Stern et O’Shea (2019) proposent par exemple que les articles soient déposés avant publication sur des archives ouvertes. Des experts du domaine évalueraient alors ces articles en se concertant. Les auteurs décideraient du moment où l’article est publié et les revues pourraient ensuite sélectionner les articles. Outre la transparence totale du processus de publication, ce système a plusieurs avantages : une économie de temps pour les scientifiques financés en majorité par les fonds publics, une concentration sur le contenu de l’article sans chercher à être en adéquation avec une revue, et une mise en ligne immédiate de tous les articles (évitant ainsi que certains articles ne soient jamais publiés). Ce type de proposition vise principalement à améliorer le fonctionnement des revues scientifiques et la qualité des publications, mais elle ne remet toutefois pas en cause la culture « publish or perish ».
Le mouvement « slow science » va plus loin et encourage à ralentir la production scientifique (Frith, 2020). En acceptant qu’une bonne recherche prenne du temps, en évaluant la qualité et non la quantité, en reconnaissant le travail d’équipe, ce mouvement pourrait participer à dessiner un avenir plus rassurant pour les prochaines générations.
Pour reprendre la métaphore du début de cet article, les publications scientifiques peuvent être comparées à une longue chaîne de savoirs. Les initiatives, comme celles en science ouverte, démontrent ainsi que le destin des revues scientifiques n’est pas figé : un joaillier vous dira toujours qu’il existe une multitude de chaînes différentes. C’est donc à nous, chercheurs et chercheuses, d’imaginer les revues scientifiques de demain.
Références
Banks, D. (2009). Starting science in the vernacular. Notes on some early issues of the Philosophical Transactions and the Journal des Sçavans, 1665-1700. ASp. La Revue Du GERAS, 55, 5–22. https://doi.org/10.4000/asp.213
Fanelli, D. (2012). Negative results are disappearing from most disciplines and countries. Scientometrics, 90(3), 891–904. https://doi.org/10.1007/s11192-011-0494-7
Frith, U. (2020). Fast Lane to Slow Science. Trends in Cognitive Sciences, 24(1), 1–2. https://doi.org/10.1016/j.tics.2019.10.007
Holcombe, A. (2019). Farewell authors, hello contributors. Nature, 571(7764), 147–147. https://doi.org/10.1038/d41586-019-02084-8
Ibrahim, A. M., & Dimick, J. B. (2018). Chapter 9 - Writing for Impact: How to Prepare a Journal Article. In J. Markovac, M. Kleinman, & M. Englesbe (Eds.), Medical and Scientific Publishing (pp. 81–92). Academic Press. https://doi.org/10.1016/B978-0-12-809969-8.00009-7
Klein, O., Hardwicke, T. E., Aust, F., Breuer, J., Danielsson, H., Mohr, A. H., IJzerman, H., Nilsonne, G., Vanpaemel, W., & Frank, M. C. (2018). A Practical Guide for Transparency in Psychological Science. Collabra: Psychology, 4(1), 20. https://doi.org/10.1525/collabra.158
Kyvik, S., & Aksnes, D. W. (2015). Explaining the increase in publication productivity among academic staff: A generational perspective. Studies in Higher Education, 40(8), 1438–1453. https://doi.org/10.1080/03075079.2015.1060711
Morey, R. D., Chambers, C. D., Etchells, P. J., Harris, C. R., Hoekstra, R., Lakens, D., Lewandowsky, S., Morey, C. C., Newman, D. P., Schönbrodt, F. D., Vanpaemel, W., Wagenmakers, E.-J., & Zwaan, R. A. (2016). The Peer Reviewers’ Openness Initiative: Incentivizing open research practices through peer review. Royal Society Open Science, 3(1), 150547. https://doi.org/10.1098/rsos.150547
Morival, J., Berti, J., Facos, M., Gallezot, G., Géroudet, M., Granger, S., Janik, J., Josserand, C., Lutz, J.-F., Okret-Manville, C., Perrin, S., & Thiboud, N. (2021). Passeport pour la Science Ouverte | Guide pratique à l’usage des doctorantes et des doctorants (Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, Université de Lille, & Collège Compétences et formation du Comité pour la science ouverte, Eds.). https://www.ouvrirlascience.fr/passeport-pour-la-science-ouverte-guide-p...
Nosek, B. A., Alter, G., Banks, G. C., Borsboom, D., Bowman, S. D., Breckler, S. J., Buck, S., Chambers, C. D., Chin, G., Christensen, G., Contestabile, M., Dafoe, A., Eich, E., Freese, J., Glennerster, R., Goroff, D., Green, D. P., Hesse, B., Humphreys, M., … Yarkoni, T. (2015). Promoting an open research culture: Author guidelines for journals could help to promote transparency, openness, and reproducibility. Science, 348(6242), 1422–1425. https://doi.org/10.1148/radiol.09090626
Stern, B. M., & O’Shea, E. K. (2019). A proposal for the future of scientific publishing in the life sciences. PLOS Biology, 17(2), e3000116. https://doi.org/10.1371/journal.pbio.3000116